POST-Démocratie

Les nouvelles heures sombres de l'Histoire

Il est remarquable que la dictature
soit à présent contagieuse,
comme le fut autrefois la liberté

Paul Valéry

Du bolchévisme au wokisme

Bruno Riondel
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Yeonmi Park, une réfugiée originaire de Corée du Nord, s’inquiétait récemment de la propagation de l’idéologie « woke »  dans son pays d’accueil, les Etats-Unis, estimant que, déjà, les « institutions grand public ont la même idéologie que la Corée du Nord ».

Rappelons d’abord que le wokisme est une idéologie issue de l’extrême gauche radicale et nihiliste qui attribue une raison unique aux souffrances des minorités diverses, le prétendu « privilège blanc » de l’homme autochtone occidental qui serait ontologiquement un suprémaciste et un raciste qui s’ignorerait. Ainsi, le racisme ne serait plus seulement le travers mauvais que certains individus développent, mais, il serait «systémique », c’est-à-dire qu’il formerait une composante structurelle de la civilisation occidentale. Celle-ci aurait aussi conservé un esprit colonial qui justifierait la formation de groupes « décoloniaux» composés de militants revanchards issus de l’immigration.

« Woke » signifie « éveillé », alors que le wokisme n’est au final que l’expression d’une profonde aliénation idéologique. L’homme lucide perçoit en effet dans le discours pseudo-progressiste qu’il véhicule, la mise en œuvre d’une subtile stratégie révolutionnaire d’essence marxiste, dans laquelle la lutte des classes, grimée en lutte des races, est l’outil de l’affaiblissement des sociétés occidentales recherché par les ennemis de l’intérieur. Comme ce fut autrefois le cas pour le marxisme-léninisme, son aïeul idéologique, le wokisme mine l’Occident par la création de multiples fronts sociaux qui permettent d’entretenir, au sein des sociétés, un climat récurrent de guerre civile larvée.

Ainsi, sur le plan symbolique, et avec le même fanatisme qui poussa autrefois les Talibans afghans à détruire les antiques bouddhas de Bâmiyân, les militants du wokisme, tels des gardes-rouges maoïstes durant la Révolution culturelle chinoise, déboulonnèrent, et parfois détruisirent rageusement, de nombreuses statues de Grands hommes qui auraient incarné autrefois ce suprémacisme blanc, à l’instar de celles de Jean-Baptiste Colbert, Napoléon Ier, Christophe Colomb, Winston Churchill. Même la statue de Victor Schoelcher, l’homme qui fut pourtant à l’origine de l’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies, fut visée. Tout cela au nom de la « cancel culture », la culture de l’effacement. Tout un programme.

Le wokisme qui se présente comme un combat antiraciste d’un nouveau genre réintroduit pourtant des pratiques de ségrégation raciale par la mise en œuvre de réunions de « racisés» interdites aux blancs. Pour adapter l’esprit discriminant du wokisme à « l’intersectionnalité » qui est définie comme étant le point de rencontre entre sexisme et racisme, une femme blanche, théoriquement victime du premier, peut se présenter à ces réunions et rester en tant que femme, mais elle devra se taire en tant que blanche.

Plus stupéfiant encore est à San Francisco la proposition de mise en œuvre faite par le mouvement woke, Black Lives Matter, d’un plan de réparations octroyant cinq millions de dollars pour chaque habitant de la ville descendant de victimes de l’esclavage. Le plan coûterait cinquante milliards de dollars alors que le budget de la cité californienne plafonne à quatorze milliards. Cherchez l’erreur.

« Même la Corée du Nord n’est pas aussi cinglée » juge Yeonmi Park. Si l’on juge le wokisme à l’aune du degré de délire qu’il manifeste, le seul point de comparaison se trouve peut-être au Cambodge khmer-rouge ou, il y a près d’un demi-siècle, Pol Pot et ses sbires assassinèrent des millions de leurs concitoyens au nom de leur irrationalité idéologique. La folie des wokes rappelle celle du bolchévisme du siècle passé, lequel exerçait son effet corrosif sur les sociétés par des passions « soit réactivées, soit engendrées de toutes pièces », écrivait l’historien Marc Lazar, tout comme aujourd’hui, observe Yeonmi Park comme en écho, les wokes inventent « une injustice de toutes pièces ou un problème venu de nulle part ».

Les méthodes de corruption des sociétés occidentales ont été mises au point, au cours des années trente, par les ingénieurs sociaux staliniens qui avaient compris l’efficacité d’une stratégie qui contourne le débat, en suscitant l’émotion victimaire au détriment de la raison et en utilisant indifféremment le mensonge ou la vérité. La stratégie de corrosion des sociétés occidentales amorcée par les staliniens s’est poursuivie et amplifiée très subtilement en Occident, à partir des années quatre-vingts, alors que trotskistes et maoïstes qui avaient rêvé de révolution dans les années soixante-dix arrivaient aux affaires sous les apparences plus modérées de militants de la sociale démocratie réformiste.

Parmi ceux-ci, Serge July, ex-militant maoïste devenu rédacteur en chef du journal Libération qui, à la fin des années soixante, enseignait aux « maos » une stratégie subversive qualifiée de « dialectique du centre et de la périphérie », fondée sur l’instrumentalisation des minorités. Estimant que la classe ouvrière occidentale embourgeoisée par la société de consommation se caractérisait désormais par l’inaptitude révolutionnaire, il préconisait de recourir aux minorités inorganisées et marginales promues nouveau prolétariat, immigrés, minorités sexuelles, féministes radicales, détenus, etc. , pour réaliser à terme la « longue marche »,« l’encerclement »,  puis « l’investissement » du centre de la société ou se trouve le « quartier général » du « pouvoir bourgeois« .

Concrètement, les structures de lutte en faveur des minorités se multiplièrent comme le Groupe d’information sur les prisons (GIP), le Mouvement de libération des femmes (MLF) ou encore SOS racisme. Les causes nobles allaient être ainsi utilisées pour ouvrir des fronts sociétaux, la défense légitime de la condition féminine évoluant vers une guerre des sexes ou la lutte contre le racisme servant à criminaliser le discours national. Ainsi, l’antiracisme reprenait les méthodes éprouvées un demi-siècle plus tôt par l’antifascisme stalinien qui servit moins à lutter contre le fascisme qu’à détruire le vaste front anticommuniste occidental en amalgamant toute critique du marxisme-léninisme à du fascisme.

Avec le wokisme, nous sommes à l’aboutissement de ces stratégies mises en œuvre avec légèreté par les enfants gâtés de 1968 et il nous faut écouter la mise en garde de Yeonmi Park qui estime lucidement que « nous sommes littéralement en train de vivre une révolution culturelle en Amérique. Quand nous nous en rendrons compte, il sera peut-être trop tard. »

L’heure est au réveil. Plus que l’Occident, c’est l’universalisme qui en fit autrefois la grandeur qu’il nous faut aujourd’hui défendre contre les menées perverties des minorités radicalisées.

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