POST-Démocratie

Les nouvelles heures sombres de l'Histoire

Il est remarquable que la dictature
soit à présent contagieuse,
comme le fut autrefois la liberté

Paul Valéry

Le professeur René Chiche a-t-il eu raison de comparer le passe vaccinal au « statut des juifs » de Vichy?

Bruno Riondel
//

Deux professeurs de philosophie ont été suspendus de leurs fonctions par la seule volonté du ministre de l’Education nationale, coupables d’avoir émis des opinions non politiquement correctes, l’un à Orléans, Franklin Nyamsi, l’autre à Marseille, René Chiche. A la lecture de leurs propos, il semblerait que les deux enseignants eurent pour seul tort d’user de leur liberté d’expression, ce qu’ils firent pourtant en dehors de leur milieu professionnel.

Ainsi, René Chiche a été suspendu pour avoir publié une opinion sur son compte Twitter personnel. Dans ce message, il faisait un parallèle audacieux entre les élus ayant voté le passe vaccinal et « ceux qui votèrent le statut des juifs » en 1940. Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a estimé que ces propos étaient «outranciers, complotistes, injurieux » et « d’une très grande violence ».

Il est toujours fascinant d’observer combien le fait de comparer certaines situations dramatiques avec le sort réservé autrefois aux victimes du nazisme peut provoquer des réactions hystériques. L’instrumentalisation de l’indignation doit toujours être envisagée car elle permet d’étouffer certains débats nécessaires.

La comparaison faite par René Chiche porte sur le sens profond que revêtait la décision prise d’exclure d’une partie de leurs droits des millions de citoyens français non-vaccinés et dépourvus d’un passe sanitaire qui n’eut aucune justification médicale sérieuse. Cette question est fondamentale car l’extrême gravité d’une telle décision qui fut une première en France depuis 1944, et qui porta atteinte aux droits fondamentaux des personnes, n’a pas encore été conscientisée par notre démocratie malade.

Pour évaluer la portée de la comparaison émise par René Chiche, il faut d’abord rappeler que le statut des juifs qu’adopta le régime de Vichy, le 3 octobre 1940, était discriminatoire pour l’exercice de certaines activités sociales, excluant notamment les Français de confession juive de la fonction publique. Il est nécessaire de préciser que le Statut des juifs s’appliquait en zone libre, alors qu’en zone occupée, la 9ème ordonnance publiée par les autorités d’occupation reprenait plus ou moins les mêmes dispositions.

Si l’on reprend la 9ème ordonnance publiée, le 8 juillet 1942, par les autorités d’occupation à l’encontre de la communauté juive, toute une série d’interdits sont énumérés. Il était ainsi interdit au groupe discriminé de « fréquenter tous les établissements publics et d’assister aux manifestations publiques » comme les « restaurants et lieux de dégustation », les « cafés, salons de thé et bars », les « théâtres, cinémas, concerts, music-halls et autres lieux de plaisir » et encore les « musées, bibliothèques, expositions publiques », etc. Il est frappant de constater que les interdits visant les non-vaccinés discriminés sont quasiment les mêmes. Au premier degré de l’observation, un rapprochement prudent peut donc être effectué entre les deux situations, lesquelles nécessitent cependant d’être appréhendées avec nuances, notamment en raison des degrés différents de violence environnante.

Ainsi, ce rapprochement est-il encore pertinent si l’on se livre à une analyse plus approfondie des deux situations dont les  contextes sont très différents ?

La comparaison des processus d’exclusion mis en œuvre par le statut des juifs et par le passe vaccinal paraît excessive au premier abord car un différentiel émotionnel a été créé dans le ressenti des populations. Ainsi, l’esprit profane distingue naïvement entre une communauté qui fut exclue pour ce qu’elle aurait été ontologiquement et le rejet d’un groupe de citoyens supposés irresponsables par leur refus de l’injection d’un vaccin présenté comme salvateur par la propagande.

La réalité est plus compliquée. En premier lieu, il faut avoir à l’esprit que si l’on met en perspective le statut des juifs de 1940 et le processus d’extermination mis en oeuvre ensuite à l’encontre des victimes, l’effet est d’absolutiser l’horreur ressentie à la lecture du texte vichyste qui semble porter en germes le glissement dramatique qui allait s’effectuer, quelques mois plus tard, de l’exclusion à la déportation. Une telle évolution n’était pourtant pas imaginable par nombre des contemporains des débuts du régime de Vichy, à l’instar de beaucoup de nos concitoyens qui, en 2021, ne concevaient pas les dérives potentielles que pouvait générer le passe sanitaire. En second lieu, il est nécessaire de poser le primat idéologique qui fonde les deux processus d’exclusion menés contre des groupes estimés menaçants pour la cohésion de sociétés caractérisées, à un moment donné, par un monolithisme idéologique obsessionnel, celui de l’ultranationalisme dans un cas, celui du scientisme sanitaire dans l’autre.

L’antisémitisme meurtrier dont furent victimes les juifs d’Europe, au milieu du XXème siècle, eut sa source dans un nationalisme extrême qui les assimilait à l’internationalisme qui menaçait alors le vécu des peuples traditionnels, celui de la finance internationale d’une part, celui du bolchévisme révolutionnaire d’autre part. Pour exclure radicalement les communautés juives, un préjugé racialiste, aussi discriminant que délirant, fut théorisé par une pseudo-science nazie et plaqué sur les victimes désormais marquées par l’impureté biologique supposée qui leur était attribuée. Mais, il ne faut pas confondre le délire et la réalité. En effet, être juif ne relève aucunement d’une dimension raciale, mais de la pratique du judaïsme et par extension, de l’appartenance à une communauté ayant ses traditions propres. Il ne faut donc en aucun cas essentialiser une judaïté qui ne relève pas de l’ethnique, mais du culturel, comme le firent autrefois les nazis pour justifier leurs crimes au nom d’une prétendue impureté raciale des victimes ou, comme le font stratégiquement, aujourd’hui, ceux qui instrumentalisent la souffrance juive à des fins politiques.

Dans le contexte de la radicalisation du discours idéologique sanitaire que nous avons connu il y a deux ans, le non-vacciné fut aussi assimilé à l’élément corrosif qui menaçait l’unanimisme covidiste que recherchait un pouvoir dont les intérêts et les motivations politiques se révèlent particulièrement troubles. En effet, le non-vacciné, justifiant son choix de conscience en se fondant sur des arguments scientifiques bien plus solides que ceux qu’utilisait la propagande sanitaire, représentait un danger réel sur le plan idéologique. Pour préserver la cohérence du discours officiel, il fallait l’exclure au nom de l’impureté sanitaire qui l’aurait affecté. Par cette justification, l’exclusion était plus que juridique, elle touchait au biologique. La peur cultivée grâce à ce biais pervers, au sein des masses aliénées par le climat d’anxiété artificiellement créé, généra violences verbales et atteintes diverses contre la dignité de ceux qui avaient refusé l’injection de la protéine « recombinante » spike. Le glissement vers le pire était dès lors possible. Vu sous cet angle,  il n’est donc pas outrageant de tenter des mises en parallèle, à l’instar de celle qui rapproche la suspension professionnelle des soignants non-vaccinés en 2021, et le sort des Français de confession juive exclus de la fonction publique en 1940.

Il est cependant nécessaire de faire preuve d’une extrême prudence.

Il faut ainsi nuancer grandement la comparaison en précisant, par exemple, qu’à la différence de la violence d’Etat momentanée commise par le biais du passe sanitaire, la violence antijuive nazie n’était pas une première. La réalité multiséculaire de l’antisémitisme et les violences qui l’accompagnèrent tout au long de l’histoire donnent une dimension particulière et tragique au sort des juifs, ce qui distingue sensiblement la portée de l’exclusion juridique qui les frappa à la fin de 1940, de celle qui marginalisa les non-vaccinés en 2021.

Ce que craint tout pouvoir pratiquant le monolithisme idéologique, c’est le sain discernement que conserve l’individu conscient et capable de résister à l’abrutissement que la propagande génère chez les masses manipulées. Bien souvent, la force du non-vacciné fut d’avoir conservé une capacité d’intuition de nature spirituelle qui lui a permis de résister à la violence idéologique. Réfuter en esprit l’idéologie vaccinale revenait à refuser une conversion forcée à la brutalité d’un matérialisme scientiste qui, il faut toujours le rappeler, a peu de rapport avec la véritable science.

Les propos reprochés à René Chiche ne sont finalement pas aussi déplacés que le laisserait penser la réaction du ministre de l’Education nationale dont l’indignation surjouée ne relève que de la posture politicienne. Cependant, Il eut été mieux que le professeur Chiche ait exprimé sa position avec plus de nuances sur un sujet aussi sensible, pour lequel des affirmations trop péremptoires sont susceptibles de créer le malentendu.

L’exclusion de René Chiche n’en est pas moins scandaleuse car elle relève du fait du prince. Par cette violence, Pap Ndiaye, partisan du wokisme, cette idéologie dont les méthodes corrosives et nihilistes inspirées du bolchévisme inquiètent, démontre que sa conception démocratique relève plus de celle qui fondait les ex-démocraties populaires d’Europe de l’Est, que de l’esprit libéral.

L’exclusion de René Chiche est révélatrice de l’entrée de notre société dans l’ère post-démocratique.

2 Responses

  1. Bravo et merci pour cet article remarquable.
    Il est utile en cette période dystopique de savoir construire un raisonnement logique et cohérent comme vous l’avez fait à travers cette article de grande qualité.
    A ce titre, votre regard d’historien s’avère précieux.
    Même si, dans 1984 de George Orwell, le Miniver peut décréter que 2+2 font 3, cela ne change rien à la réalité à savoir que non, cela fait et fera toujours 4, jusqu’à preuve du contraire.
    Il en va de même pour cette affaire qui révèle une forme certaine de manipulation qui repose sur une arnaque intellectuelle, une de plus.
    Il convient d’être radical dans le sens « racine ».
    Si la racine, l’origine de quelque chose est mensongère, alors tout le reste qui en découle ne peut être que mensonger ou fallacieux et il faut tout démonter depuis l’origine en refusant leur délire bâti sur une base irrecevable, un postulat faux.
    D’où l’intérêt de cet article qui permet de reconstruire un raisonnement basé sur la justesse, la vérité et la logique.
    Refusons d’embarquer dans toutes les manipulations actuelles et à venir, exerçons quand cela est juste notre pouvoir souverain qui nous permet de ne PAS CONSENTIR.
    Sachons dire NON et ceux qui usent et abusent du mensonge pour s’accaparer un pouvoir illégitime rejoindront plus rapidement les poubelles de l’histoire.

    1. Merci beaucoup Sébastien pour vos encouragements.
      Oui, nous devons aiguiser notre esprit de vigilance en ces temps où le discours idéologique affaiblit dramatiquement la capacité de discernement de nombre de nos concitoyens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *